Le Monde (Article paru dans l'édition du 30.03.10)
Les touristes ne sont pas les seuls à s'intéresser aux plages et aux fonds marins qui font rêver. Les fournisseurs en matériaux de construction sont aussi de plus en plus tentés d'aller faire un tour le long des côtes. Tous sont aujourd'hui à la recherche de sable et de graviers afin d'étancher la soif de béton des promoteurs immobiliers. Si certains de ces marchands de sable ont pignon sur rue, d'autres opèrent en contrebande. Pour le plus grand dommage des sites qui sont devenus leurs proies et sur lesquels ils interviennent en bandes très bien organisées.
Le sable, dont les réserves accessibles sont limitées, est ainsi convoité partout dans le monde : en Asie, en Afrique et en Amérique. Récemment, des cas de vol ont été rapportés sur des plages au Mexique, à la Jamaïque ou dans le Pacifique. Au Maroc, les camions de pilleurs de sable sont poursuivis par la police sur les plages proches de Tanger ou de Casablanca.
Même l'Europe n'est pas épargnée. L'un des derniers cas signalés par des habitants a touché l'Ecosse. Courant février, les plages de Tiree, une île baignée par le Gulf Stream, ont été délestées de leur sable à plusieurs reprises. Paradis des surfeurs et des amateurs de nature, Tiree est l'objet d'un boom de la construction. Si elle n'est pas arrêtée, cette exploitation débridée va faire courir à l'île de graves dangers : l'érosion de sa côte la fragilise face aux fréquentes tempêtes qui frappent la région, mais aussi, à plus long terme, face à l'élévation du niveau de la mer. D'autant que l'île a peu de relief, la plupart de ses terres étant à moins de 15 mètres au-dessus du niveau de l'eau.
L'attrait pour le sable marin provient de ses qualités physiques particulières. "Avec son grain "roulé" par les vagues et sa forte densité, il apporte une très bonne résistance au béton", explique Patrick Kerverdo, directeur de DTM, une entreprise d'extraction basée sur le littoral atlantique.
L'affaiblissement de la résistance de la côte est la crainte principale des populations touchées par le vol ou l'extraction légale, mais intensive, de sable. De plus, le sable et les graviers marins obéissent à des mouvements de courant cycliques qu'un prélèvement brutal vient troubler. Et un pompage puissant peut avoir un effet perturbateur sur les organismes qui vivent au fond des mers, ainsi que sur la structure de la houle.
Le souci d'érosion mal contrôlée pèse aussi sur les populations qui vivent le long des estuaires. Au Vietnam, par exemple, des habitations s'écroulent dans le delta du Mékong ou le long des rivières près d'Hanoï, dont les rivages ont été dépouillés de leur sable.
Le phénomène est particulièrement aigu autour de Singapour, qui cherche constamment à gagner sur la mer. D'une surface de 580 km2 en 1960, la cité-Etat s'étend aujourd'hui sur près de 700 km2. Elle a donc des besoins immenses en sable, qu'elle va chercher chez ses voisins, par l'intermédiaire de fournisseurs privés. Mais ces derniers ne sont pas toujours très scrupuleux.
L'ONG Global Witness rapporte, par exemple, qu'au Cambodge, certains d'entre eux, organisés très "professionnellement", avec des systèmes de pompes installés sur des barges, peuvent remplir illégalement un bateau d'une capacité de 15 000 tonnes en aspirant pendant trois jours et trois nuits le sable d'un estuaire ou du rivage d'une île.
A environ 11 dollars (8,2 euros) la tonne au départ du lieu d'extraction et 45 dollars pour le sable livré à Singapour près à être utilisé, selon Global Witness, ce trafic représente une affaire clairement rentable.
Cet appétit pour la ressource, qui se retrouve aussi à Hongkong ou sur la côte chinoise, provoque la colère de l'Indonésie, du Cambodge et de la Malaisie, dont les très nombreuses îles sont pillées. Au souci d'éviter un désastre écologique, qui conduit parfois à la disparition de petites îles, s'ajoute, pour ces pays, la crainte de voir leurs frontières maritimes rognées avec le recul des traits de côte.
En France, où l'extraction de sable et de graviers marins est strictement encadrée par le code minier, ou dans les autres pays européens, la contrebande n'est pas aussi développée. Mais l'épuisement à terme des ressources accessibles et autorisées, les résistances des riverains et le durcissement des réglementations, amènent les industriels et les fournisseurs de matériaux à réfléchir à d'autres sources d'approvisionnement, notamment par le recyclage des matériaux issus de la démolition, explique Nicolas Vuillier, président de l'Union nationale des producteurs de granulats.
En 2008, environ 7 millions de tonnes de granulats marins ont été extraits sur le littoral français, sur une production totale de plus de 400 millions de tonnes, dont 170 millions de matériaux alluvionnaires. Mais la demande pourrait être multipliée par trois dans les dix années à venir.
Article paru dans l'édition du 30.03.10